Le lobbying de l’industrie de l’énergie à Bruxelles : un monde qui reste trouble
Recherche par Les Amis de la Terre Europe. Depuis publication, plusieurs des entreprises citées dans cet article ont mis à jour leurs données sur leurs avtivités de lobby dans le registre de transparence Européen.
Dès l’entrée en pouvoir de la nouvelle Commission Européenne en novembre 2014, les questions en matière d’énergie sont devenues un enjeu majeur dans la politique de l’UE. La création du nouveau poste de « Vice-président de l’Union de l’Energie » au sein de la Commission Européenne montre à quel point les questions en matière d’énergie sont devenues d’une importance cruciale pour l’UE.
Les négociations internationales sur le climat auront lieu en décembre 2015 et les tentatives des grandes entreprises polluantes pour avoir la main sur le débat sont déjà bien en cours. Le Business & Climate Summit qui prendra place les 20 et 21 Mai 2015 sera une nouvelle occasion pour l’industrie de l’énergie d’influer sur l’agenda des négociations liées au climat.
Alors que les plus grandes entreprises œuvrant dans le secteur de l’énergie n’hésitent pas à dépenser des fortunes pour participer à des conférences, elles sont beaucoup plus réticentes lorsqu’il s’agit d’être transparent sur leurs activités de lobbying. Cet article s’est penché sur les grandes compagnies du secteur de l’énergie et a regardé de plus près les informations qu’elles ont publiées dans le registre de transparence de l’UE en 2013 et 2014. Ceci a été possible en comparant les données de 2013 figurant sur le site lobbyfacts.eu avec celles de 2014 disponibles sur le site du registre de transparence mis à jour récemment.
Les différentes études de cas présentées ci-dessous sont autant d’exemples d’informations invraisemblables et inexactes publiées par les grands noms du secteur de l’énergie concernant leurs dépenses de lobbying à Bruxelles. Ces nombreux cas problématiques montrent combien un registre obligatoire et une vérification des données beaucoup plus rigoureuse sont nécessaires.
Des dépenses en lobbying qui se sont multipliées
Certaines entreprises ont déclaré avoir considérablement augmenté leurs dépenses pour couvrir leurs activités de lobbying auprès de l’UE entre 2013 et 2014.
La multinationale ENEL a enregistré une des plus grosses hausse de dépenses en lobbying dans le secteur de l’énergie. Selon ces déclarations, ses frais de lobbying à Bruxelles auraient augmenté allant de 450,000-500,000 € en 2013 à 2,000,000-2,249,999€ en 2014. Son investissement en lobbying aurait été au moins multiplié par 4. Le nombre de personnes employées dans ces activités est aussi passé de 7 à 14 pour la même période. Ce changement radical dans ses dépenses en lobbying est cependant assez douteux. ENEL déclare avoir payé 400,000€ en 2014 pour son adhésion dans diverses associations d’entreprises. Toutefois, la société était déjà membre dans la plupart de ces groupes en 2013. A moins que leurs frais d’adhésion aient radicalement augmenté, les données fournies par l’entreprise en 2013 semblent bien avoir été sous-estimées et ne sont pas représentatives de la réalité.
Les dépenses de lobbying de la multinationale pétrolière BP ont quant à elles presque doublé. Alors qu’ elles s’élevaient entre 1,250,000-1,500,000€ en 2013, en 2014 elles atteignent une fourchette comprise entre 2,500,000-2,999,999€ bien que le nombre de lobbyistes qui était de cinq n’ait pas changé. D’autre part, aucune raison valable peut vraiment expliquer cette envolée des coûts : en 2014, les sommes versées aux cabinets de consultance en lobbying ont très peu changé et BP a même réduit son nombre d’adhésion dans les associations d’entreprises.
Une chute vertigineuse des dépenses de lobbying
Toutefois, bien que les questions d’énergie aient pris beaucoup d’importance, un très grand nombre de sociétés ont, de manière extrêmement surprenante, déclaré une baisse colossale de leurs dépenses en lobbying. Dans certains cas, la différence des montants entre 2013 et 2014 est si grande qu’elle fait naître le doute quant à la véracité de ces données.
Selon les déclarations de la compagnie française de gaz et d’électricité Engie (autrefois appelée GDF Suez), cette-dernière aurait enregistré une des chutes les importantes en dépenses de lobbying allant de 2,500,000-2,750,000€ en 2013 à moins de 9,999€ en 2014. Le nombre de lobbyistes a aussi été considérablement réduit passant de 12 personnes dont 2 lobbyistes ayant accès au parlement en 2013 à seulement 4 personnes en 2014 et plus aucune d’elles ne seraient accréditées. Toutefois, même si Engie a réduit son personnel engagé dans le lobbying au nombre de 4, il semble tout fait irréaliste qu’un budget de moins de 10,000€ puisse couvrir leurs salaires et leurs activités, sachant qu’Engie a tenu au moins 14 réunions officielles avec la Commission Européenne depuis le 1er décembre 2014. Engie est également un des sponsors du Business&Climate Summit qui a lieu à Paris cette semaine.
De même, l’entreprise suédoise Vattenfall qui est le 5ème fournisseur de l’Europe en électricité, a indiqué lors de sa dernière mise à jour dans le registre, que ses dépenses de lobbying à Bruxelles seraient estimées à moins de 10,000€ bien que la compagnie emploie 4 lobbyistes et 5 de ses membres ont accès au Parlement Européen. Les dépenses de lobbying déclarées par Vattenfall dans le registre font référence à celles de 2010. Ceci doit sûrement être une erreur puisque que leur dernière mise à jour a eu lieu au mois de mai 2015. En janvier 2015, alors que Vattenfall avait déclaré employer le même nombre de lobbyistes soit 4, ses coûts en lobbying atteignaient les sommes de 250,000-300.000€. Vattenfall est également l’un des principaux sponsors du corporate UN climate forum qui a lieu le 21 mai à Paris.
Les montants dépensés en lobbying par l’entreprise britannique de gaz de schiste qui fait polémique, Cuadrilla Resources ont, selon ses déclarations , baissé, passant de 50,000-100,000€ en 2013 à moins de 9,999€ en 2014.Le nombre de personnel engagé dans le lobbying a également chuté à une personne employée en 2014 contre 70 en 2013. Cuadrilla doit vraisemblablement avoir surévalué le nombre d’employés travaillant en 2013 car il est peu réaliste qu’un budget de moins de 100,000 € puisse couvrir les frais de 70 lobbyistes. Cependant, le nouveau montant de moins de 10,000 € déclaré par l’entreprise pour 2014, censé couvrir les activités de lobbying à Bruxelles, est extrêmement faible sachant l’importance qu’ont prises les questions énergétiques et notamment celle du gaz dans l’agenda politique de l’UE. Par exemple, Cuadrilla siège dans l’un des deux groupes de travail du groupe d’experts de la Commission Européenne sur le développement du gaz de schiste qui a récemment été créé. L’entreprise est également représentée par une seconde personne dans le groupe d’experts. Friends of the Earth Europe a récemment quitté ce groupe d’experts car il est largement dominé par des membres en faveur du gaz de schiste.
Les dépenses de lobbying de la compagnie pétrolière norvégienne Statoil ont également chuté vertigineusement passant de 800,000-900,000€ pour 2013 à 50,000-99,999€ seulement en 2014. Toutefois, de manière surprenante, le nombre d’employés engagés dans le lobbying n’a lui pas changé (7 personnes). La Commission Européenne a annoncé avoir tenu 11 réunions avec les lobbyistes représentants Statoil entre décembre 2014 et mai 2015, ce qui est assez remarquable pour une entreprise ayant déclaré dépenser moins de 100,000€ en lobbying. Statoil fait partie des intervenants du Business & Climate Summit qui se tient à Paris.
Le fournisseur d’électricité finlandais Fortum a quant à lui annoncé que les montants versés pour couvrir ses activités de lobbying ont chuté de 90% soit des dépenses à hauteur de 10,000-24,999€ en 2014 contre 250,000-300,000€ en 2013. Cependant le nombre de lobbyistes a très peu changé, passant de 10 personnes en 2013 à 8 en 2014. Alors que 4.5 environ d’employés travaillent à plein temps, les montants publiés par Fortum ont tout bien l’air d’avoir été sous-estimés.
L’entreprise fournisseuse d’énergie EnBW Energie Baden-Württemberg AG a également indiqué dans le registre une baisse dans ses dépenses de lobbying. Les coût auraient, selon ses déclarations, chuté pour atteindre 990,000€ en 2014 contre 1,200,000€ en 2013. Cependant, le nombre du personnel impliqué dans ces activités a quant à lui augmenté passant de 4 à 6 personnes sur la même période.
Des données financière lacunaires dans le nouveau registre
Certaines entreprises ont fourni des informations relatives à 2014 qui se révèlent être incomplètes. Par exemple, le fournisseur français d’énergie Alstom et la compagnie d’énergie britannique SSE ont communiqué des données couvrant uniquement la période entre avril 2013 et mars 2014.
De nombreuses grandes entreprises telles que le géant pétrolier français Total et la plus grosse compagnie d’électricité d’Espagne Endesa (appartenant au groupe italien Enel), n’ont tout simplement pas publié d’informations liées à leurs dépenses relatives à 2014 comme il est requis par le registre de transparence. Elles ont seulement communiqué les données pour l’année 2013.
Le fournisseur d’énergie espagnol Iberdrola a aussi publié ses données financières pour l’année 2013. Dans sa dernière mise à jour en mars 2015, la compagnie a déclaré avoir dépensé en 2013 pour ses activités de lobbying à Bruxelles entre 500,000€ and 599,999€. Toutefois, deux mois avant, l’entreprise avait estimé pour la même période ses dépenses de lobbying à hauteur de 600,000-700,000€.
Des entreprises récemment enregistrées
En cette fin d’avril, de nouvelles entreprises œuvrant dans le secteur de l’énergie se sont récemment inscrites dans le registre cinq ans après son lancement. Ces nouvelles inscriptions coïncident avec la nouvelle politique de la Commission Européenne refusant à ses haut-fonctionnaires de rencontrer des lobbyistes non-inscrits dans le registre. Parmi elles, on retrouve la société mère de British Gas, Centrica qui a déclaré avoir dépensé 200,000-299,000€ en 2014. La compagnie pétrolière et de gaz Balltec nouvellement inscrite aurait, selon ses chiffres, payé 3,490,095€ en 2014 pour ses activités de lobbying et aurait 40 lobbyistes travaillant à son compte. Cependant, une nouvelle fois ces données semblent avoir été surestimées puisque Balltec est une entreprise de production et de fabrication comptant moins de 50 personnes. Il est donc très peu probable qu’elle emploie également 40 lobbyistes.
Conclusion
Alors que les négociations sur le climat à Paris sont en cours et que les discussions sur l’Union de l’Energie battent leur plein, il est crucial de savoir quelles sont les organisations ou les personnes qui tentent d’influencer la politique de l’UE sur l’énergie et le climat. Cependant, le registre de transparence est actuellement rempli d’informations erronées et irréalistes sur les activités de lobbying que mènent l’industrie de l’énergie sur ces thématiques. Au même moment, ces mêmes compagnies, jouent un très grand rôle dans les négociations internationales sur le climat et risquent de les affaiblir en tentant d’influer sur le débat pour protéger leurs intérêts.
Le réseau Alliance for Lobby Transparency and Ethics Regulation (ALTER-EU) dont Friends of the Earth Europe est membre, vient récemment de lancer une campagne réclamant un registre de transparence obligatoire avec des informations précises et exactes. Un tel registre permettrait enfin aux citoyens de savoir qui sont ceux qui influent sur notre énergie de demain.