Avec le Secret des affaires, plus de « Panama Papers » ?
Mossack Fonseca, le cabinet d’avocats panaméen au centre du scandale et dont proviennent les Panama Papers, a répondu aux requêtes des journalistes en concluant avec une mise en garde explicite :
« Il semble que vous ayez eu accès de façon non autorisée à des documents et des informations appartenant à notre entreprise et les ayez présentés et interprétés hors de leur contexte. Nous ne doutons pas que vous sachiez parfaitement qu’utiliser des informations ou de la documentation obtenus illégalement est un crime, et nous n’hésiterons pas à utiliser tous les recours pénaux et civils disponibles. » (1)
Le projet de Directive UE sur la « protection des secrets d’affaires » (2), sur lequel le Parlement Européen se prononcera en séance plénière à Strasbourg le 14 avril prochain, se propose justement de donner à de telles entreprises des moyens juridiques supplémentaires pour poursuivre des journalistes ou des entreprises de presse publiant sans leur consentement des documents et des informations internes.
Ce texte crée un droit au secret pour les entreprises qui est excessif : il menace directement le travail des journalistes et de leurs sources, les lanceurs d’alerte, les syndicalistes, la liberté d’expression des salariés et nos droits d’accéder à des informations d’intérêt public (par exemple sur les médicaments, les pesticides, les émissions des véhicules, etc.).
Une coalition européenne d’associations, de syndicats, de journalistes, de lanceurs d’alerte et de scientifiques (liste à la fin du Communiqué) demande aux membres du Parlement Européen de rejeter ce texte et de demander à la Commission Européenne d’en proposer une version conforme avec les exigences de transparence (3). Une pétition européenne a également été lancée et compte plus de 72.000 signatures après seulement quelques jours.(4)
La définition du secret des affaires prévue par la directive est tellement large que presque toutes les informations internes d’une société peuvent y correspondre. Cela mettra en danger toute personne qui révèle ces informations sans le consentement de l’entreprise.
Pour Patrick Kamenka, du syndicat de journalistes français SNJ-CGT, « les citoyens, les journalistes ou encore les scientifiques ont parfois besoin d’avoir accès à ces informations et de les publier dans l’intérêt général. Ils risqueraient alors, comme Antoine Deltour et Edouard Perrin dans l’affaire LuxLeaks, des poursuites judiciaires pouvant se conclure par des peines de prison et des amendes de plusieurs centaines de milliers d’euros. C’est une manière très efficace d’empêcher les gens de dénoncer des cas de mauvaise conduite des entreprises. Quel rédacteur en chef peut se permettre de risquer la banqueroute de son journal ? »
Et ce n’est pas tout. Si la directive est approuvée au niveau européen, les États membres pourront encore aller plus loin quand ils l’adapteront à leurs droits nationaux, et on peut compter sur les multinationales pour les pousser en ce sens.
Pour Martin Pigeon, de Corporate Europe Observatory, « cette bataille ne sera pas facile : les multinationales mènent un lobbying acharné depuis des années pour obtenir cette directive et ont lourdement influencé la rédaction du texte, mais le grand public n’en sait presque rien. Il n’est aujourd’hui malheureusement plus possible, politiquement, d’amender le texte. Nous devons donc demander aujourd’hui aux députés européens de le rejeter en bloc, mais sans mobilisation des citoyens nous n’arriverons à rien. »
Pour Françoise Dumont, présidente de la Ligue des Droits de l’Homme, « le président Hollande vient de remercier les lanceurs d’alerte et la presse pour leur travail sur les Panama Papers et les rentrées fiscales qu’elles vont permettre. Pourrait-il soutenir publiquement Antoine Deltour (Luxleaks) et exiger que ce texte dangereux pour les lanceurs d’alerte et la presse soit retiré ? »
(1) http://www.irishtimes.com/business/retail-and-services/panama-papers-mos...
(2) Cette directive est officiellement appelée « Directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites ».
(3) Voir http://corporateeurope.org/power-lobbies/2016/03/trade-secrets-protection
(4) Voir https://act.wemove.eu/campaigns/les-lanceurs-d-alerte-en-danger
Liste des membres de la coalition européenne